Farid Bamouhammad : une figure emblématique
 
   
Farid BAMOUHAMMAD et le "SENS"
Farid le Fou ... d’Amour
Premier contact avec la prison
Deuxième contact avec la prison
Farid à Jamioulx
Farid Bamouhammad : 4ème rencontre (Jamioulx)
5ème visite à Farid
"Le ciel t’accompagne !"
Interruption de la médiatisation ici
Inspiré de l’interview par Malika ATTAR
Pourquoi ma relation avec Farid Bamouhammad ?
Transfert de Farid B. à la prison de Marche-en-Famenne
Farid BAMOUHAMMAD demande l’euthanasie
La grève de la faim de Farid au Centre médico-chirurgical de la prison de St-Gilles se poursuit !
Libéré provisoirement, Farid BAMOUHAMMAD est hospitalisé
Dernier "Devoir d’enquête" à la RTBF-TV 1
Une lettre de Farid B. depuis la prison de Nivelles
Lettre à la Commission de surveillance des prisons le 4 mars 2019
Farid Bamouhammad est décédé
Les acquis par Farid
Lettre de remerciements
Message laissé sur mon Facebook suite au décès de Farid
Farid vient d’être libéré sous conditions
     
   
   
 
    Rubriques
 
   
Presse
Parlementaires
Santé
Syndicats
Directions des prisons
Relations
Tribunal d’Application des Peines
Plaidoiries et jugements
Cour européenne des droits de l’homme
     
   
   
 
    Retour vers...
 
   
Prisons
     
   

 
      Farid vient d’être libéré sous conditions
    Compte-rendu de mon expérience auprès de lui les 2 et 3 mars 2015
    Il n’aurait pas été heureux de lire ce compte-rendu de son vivant. Mais cette expérience,bien qu’extrême sans doute, pourrait être une source d’inspiration lorsqu’il s’agit de libérer un détenu de longue date.

C’est à toute fin utile que je vous relate mon dernier séjour chez Farid. Pour des raisons que j’ignore, la première expérience heureuse de séjour chez lui ne s’est pas renouvelée. Bien au contraire.

Une amie commune était présente à la dernière colère de Farid. Il maintenait en hurlant sa conviction que j’excuse les pédophiles et les violeurs : « Tu me dégoûtes, tu m’écoeures ». Par ailleurs, je l’ai traité de menteur, je l’ai humilié, dit-il, je suis un faux jeton... Je lui ai dit que j’allais le libérer de ma personne. Il m’a dit : « Je ne te retiens pas. Vas-y... »

Notre amie m’a dit : « A ta place, je ne resterais pas » . J’ai plié bagage pendant qu’il se changeait à l’étage et je suis partie sans lui dire au revoir.

Pourtant, Farid souffrait d’un torticolis (peut-être ceci explique-t-il le reste) et j’avais proposé de le reconduire chez sa maman aujourd’hui (5 mars). Mais il ne m’était plus possible de prolonger mon séjour...

Je ne lui en veux pas le moins du monde. Simplement, je ne porte pas de cuirasse, je ne sais pas me protéger. Que s’était-il passé ?

ARRIVEE, LE 2 MARS

Comme convenu avec son assistante sociale, j’ai été le chercher à la gare de Charleroi. Je l’ai attendu sur le quai. Il portait un sac très lourd à l’épaule. Auparavant, j’avais insisté pour qu’il change sa destination sur sa carte Railpass sur laquelle il avait déjà inscrit Charleroi, pour y inscrire Halle. Cette gare était sur ma route et plus facile d’accès. Lui n’aurait eu que 10 minutes de trajet. Il a refusé de se rendre à un guichet pour tenter ce changement. Il n’y croyait pas et craignait des ennuis.

Déjà, il était de mauvaise humeur, disant que Charleroi était « une ville de merde », que la gare était pleine de drogués, etc. Il m’a demandé mon avis. Je lui ai dit que je ne ressentais pas cela. Que je comprenais mais que je n’avais pas la même vision. Cela ne lui pas plu... Il s’est étonné aussi que je doive payer le parking...

Arrivés chez lui, il devait être environ 11H40, il a commencé à vider son sac dans lequel se trouvaient des pulls qui devaient sécher. Installer ces pulls sur le séchoir a pris du temps car il ne fallait pas risquer qu’ils soient chiffonnés et comment éviter la poussière du plafond ? Puis, rangement, de sac en plastique en sac en plastique, cela a pris une heure.

ALIMENTATION

Qu’allions-nous manger ? Je m’inquiétais de son régime. Il me dit qu’il ne peut plus consommer de produits laitiers, même pas du yaourt. Je m’étonne car comme il prend des antibiotiques, c’est un des produits recommandés pour sa diarrhée. Et puis, le yaourt, ce n’est pas du lait.

Donc, c’était la première fois que j’osais mettre sa conviction en doute. Cependant, devant mon insistance, il a accepté de téléphoner au Docteur DD qui m’a dit qu’il pouvait manger normalement, mais en diminuant les féculents (pommes-de-terre, pain, pâtes).

Nous avons fait les courses alimentaires chez Match, au magasin proche de chez lui. Il dit que nous aurions dû aller chez Lidl, plus loin car chez Match, tout est beaucoup plus cher. Mais les courses étaient commencées et je n’ai pas eu envie de changer de magasin. Comme il m’avait demandé du vin lors de ma première visite chez un aumonier accueillant, je lui ai proposé d’acheter une bouteille. J’ai fait comme pour moi, en lui demandant ce qu’il avait envie, pas de réponse, j’ai acheté un côte du Rhône que je pensais être une bonne bouteille à environ 5 Euros.

Lundi, j’ai préparé des escalopes de dinde avec du riz complet et de la compote. Il a bien mangé trouvant que c’était léger et que j’aurais dû cuire deux sachets de riz au lieu d’un prévu pour deux personnes (mon riz n’étais pas très bien cuit).

Le vin n’était pas bon dit-il. Il a jeté dans l’évier le contenu de son verre. Il m’a dit qu’il faut payer 20 Euros pour une bonne bouteille. Je lui ai dit que même nos amis qui ont une cave de vins n’achète jamais du vin à ce prix là. Le soir vers 20H : du risotto. Même remarque : trop léger. Chaque fois, j’ai attendu devant le repas prêt, essayant de le maintenir chaud. Je n’avais pas envie de manger seule.

Le lendemain, me souvenant comme il avait été heureux du premier petit déjeuner (oeufs à la coque etc.), disant que jamais il n’avait mangé ainsi et en compagnie le matin et me souvenant qu’il devait faire trois repas complets, j’ai voulu refaire la même chose : filet de cheval fumé (acheté avec son accord), camembert, confiture, gouda, yaourt, pain toast... accompagnés d’un vrai café. Il a trouvé que manger ainsi prenait trop de temps. (Et ce n’était d’ailleurs jamais le bon moment.) Manger n’est pas une priorité pour Farid or il veut grossir. C’est un leitmotiv. Il s’est étonné que je prépare un tel déjeuner pour lui car je mange léger le matin. Il a ramassé la nourriture de la table brutalement et a tout remis au frigo. Il n’y avait plus de bananes (les seuls fruits qu’il mange avec les kiwi). Je ne sais plus comment il a mangé...

Repas de mardi : riz complet (deux sachets cette fois bien cuits cette fois), truite saumonée et filet de cheval fumé, brocoli... J’avais trouvé que c’était délicieux et je lui ai demandé s’il aimait. Il m’a répondu : « Je m’en fous. » et a avalé le tout toujours en colère.

Farid ne tient absolument pas compte des recommandations pour sa santé. Il mange des galettes, il boit du coca, il met trois sucres dans un yaourt déjà sucré... Et lorsqu’il mange, c’est en quantité, n’ayant aucune idée de ce qu’est une portion normale. Sauf son petit déjeuner qui se résume quand il est seul ou chez sa maman à une grosse galette au chocolat et une banane. Pourtant, il m’a demandé un jour si c’était bien deux oeufs, du thon, des chicons en salade...

DESTRUCTURATION

Rentrés à la maison, il a regardé ses papiers, etc. Courant de haut en bas. Lundi, nous avons dîné à 16h ! Souper : 20 H Dormir : 23H Lever : environ 8H Petit-déjeuner : environ 9H15, or RV au CPAS à 10H dit-il, en fait 10H30, il a inscrit 10H par précaution. Dîner : 14 H 15 ? Arrivée de notre amie et courses

HUMEUR

Il n’a pas cessé de se plaindre, d’être en colère sur les uns et les autres et sur sa situation, sur « ce village de merde ». Il me demandait mon avis et était furieux si j’avais un autre avis disant que je ne le comprenais pas. Il arrivait qu’il manipule brutalement la vaisselle. Heureusement qu’elle est solide ! Je lui ai demandé ce que voulait dire sa colère... Il a eu l’air surpris...

SANTE

Il fume sans arrêt des cigarettes qu’il roule à l’avance pour les mettre dans une boîte de Marlboro, est-il gêné de montrer des cigarettes roulées ou est-ce pour les avoir tout le temps à disposition ? et boit toute la journée du café lyophilisé sucré alors qu’il a un percolateur, des filtres et du vrai café.

Je passe sur ses plaintes continuelles sous forme d’insultes en l’air ; du style « pas possible, fait chier... » parce qu’il avait mal au cou et que ce mal se prolongeait jusque dans le dos et le bras. Nous avons pris RV avec le médecin voisin, qu’il a décommandé après avoir consulté par téléphone le Docteur DD.

Nous avons été acheter ses médicaments à la pharmacie, y compris un qui est commandé et qu’il devrait aller chercher lundi. Il déteste « dépendre » dit-il mais j’ai insisté pour les payer car sinon, il ne se serait pas soigné. J’avais déjà payé dans une autre pharmacie précédemment, et il n’avait pas fait de problème...

Malgré sa souffrance et mes protestations, il a fait « son sport » risquant d’encore aggraver son mal, c’est-à-dire des pompages et des élongations. Le médicament que la pharmacie lui a délivré est un anti-inflammatoire qui doit être pris lors des repas. Je l’ai vu en prendre en dehors des repas alors qu’il avait été averti que cela pouvait occasionner des brûlures d’estomac.

Enfin, soit il se plaint d’avoir froid mais semble ne pas savoir ce qu’il faut faire pour avoir chaud ou inversément, il a trop chaud... Or les radiateurs en fonte disposent tous de thermostats...

RELATIONS

Lorsqu’il se plaint de personnes : incompétence, etc. je lui dis que je n’ai pas d’avis. Que personne n’est parfait et que je suis certaine que les membres de l’équipe font le maximum pour lui.

Après la visite de l’assistante sociale qui est venue lundi pour essayer de monter sa garde-robe (tous les meubles ont finalement été installés par deux travailleurs de la ressourcerie d’où ils venaient), dont j’admire le courage, la patience, la sagesse, la compétence relationnelle, l’honnêteté,... il m’a dit : « Tu vois, elle ne sait rien... ». Elle avait reconnu devant lui qu’elle ne pouvait pas être informée de tout, que d’autres personnes prenaient telle ou telle question en charge...

« Je suis un menteur , hein ? » me dit-il en me regardant très fâché après son départ. Je lui réponds que je n’ai jamais dit cela. Que je suis certaine qu’il dit ce qu’il pense, mais que c’est sa vérité et que tout le monde peut se tromper. Je lui rappelle l’histoire des yaourts...

Il fallait qu’il aille à la mutuelle pour obtenir une réduction pour ses transports !! etc. Heureusement que l’assistante sociale est passée pour faire le point gentiment avec lui.

AVEC MOI

A table, je lui ai proposé de profiter du moment présent. Il ne peut pas dit-il. A un autre moment, je lui ai expliqué comment méditer, droit, centré sur sa respiration. Il reconnaît que ce serait bon pour lui mais ne le peut pas.

Je lui ai aussi encore à un autre moment que c’était important d’accepter ce qu’on ne peut pas changer.

Il répète constamment que je ne le comprends pas. Je lui demande ce que cela signifie « le comprendre », que j’ai l’impression de le comprendre mais que je ne suis pas lui et que je ne peux pas être toujours d’accord.

Après notre passage au CPAS où nous sommes allés en voiture à cause de son torticolis, alors qu’il se trouve à deux pas de chez lui, il y avait une contradiction entre le Railpass qu’il utilise et qu’il paye 73 Euros ( ?) et un abonnement « mi-temps » à 53 Euros. Il voulait aller à une gare pour vérifier tout de suite. Je lui ai fait remarquer que c’était une peine inutile, qu’il aurait la possibilité de poser la question à la gare de Charleroi ou à celle de Bruxelles, que je pouvais aussi aller poser la question à ma gare. .. J’ai d’abord dit fermement non, je n’irai pas. Puis, je me suis rangée à sa demande. Finalement, devant la gare de Fleurus, il n’est pas descendu de la voiture...

Autre problème toujours dans des horaires limites (nous étions proches de la fermeture) : il voulait se rendre chez Belfius pour prendre de l’argent à mettre en réserve pour son prochain déménagement à Bruxelles chez sa belle-mère (la femme de son père). Il a prétendu qu’il devait aller là où il a ouvert son compte car il n’a pas encore de carte. Je me suis permis d’être surprise, pourquoi ne pas aller à l’agence près de chez lui ? Pourquoi ne pas au moins essayer ? De nouveau furieux. Disant qu’il savait ce qu’il faisait, que je devais le croire... C’est ce que nous avons fait dès l’arrivée de notre amie le mardi après-midi.

Il a trouvé ma voiture sale. « Tu ne la laves jamais ? ». A un autre moment où il trouvait que je n’étais pas propre, je lui ai dit que si je devais faire comme lui : nettoyer et brosser sans cesse la maison partout, je serais occupée du matin au soir et aussi la nuit... Je lui ai expliqué (simplement) que nous avons un capital d’énergie, qu’il est important de l’épargner en veillant au « juste milieu »...

A un moment donné, quand il a hurlé dans le téléphone « Va te faire foutre » à l’assistante sociale parce qu’elle s’était permis de m’appeler au lieu de l’appeler lui, je me suis à mon tour mise en colère, hurlant que j’en avais marre, que je n’en pouvais plus. Il était tout paf. Puis il m’a dit « Comment est-ce possible à ton âge ? C’est la deuxième fois, une autre fois en prison » (je m’étais enflammée lui disant que je ne pouvais pas ne pas aimer les gens... qu’il ne pourrait pas me changer, que j’étais ainsi...)

Après, je me suis excusée, lui demandant pardon. Il n’a pas accepté. Je lui ai fait remarquer que lui aussi se mettait en colère, que dès lors, nous étions bien frère et soeur !...

Devant notre amie, il a répété que j’excusais les pédophiles et les violeurs (deux catégories dont il a personnellement souffert). J’ai beau tenter de lui dire que je ne les excuse pas, que je cherche juste à comprendre... Il dit que j’excuse tout le monde... Que je n’ai rien dans la tête. Que je refuse d’ouvrir les yeux... Que je suis une malade...

Il est aussi furieux de ma relation amicale avec sa propriétaire. Combien de fois l’as-tu vue dit-il ? J’ai répondu une fois mais nous avons bien sympathisé et continué par téléphone. « Je ne comprends pas, comment est-ce possible, tu ne l’a vue qu’une seule fois ?!! » Je lui ai expliqué que j’étais libre d’aimer qui je voulais que sa relation avec sa propriétaire était indépendante de la mienne. Je lui ai raconté l’histoire de mon frère qui a rompu sa relation fraternelle avec moi parce que je continuais une relation d’amitié avec son ex..., que j’étais une personne libre.

Il se plaint d’un manque d’intimité : la fenêtre de la cuisine (aveugle) de la propriétaire donne dans la sienne, on l’entend, c’est pourquoi il a eu besoin d’une radio. (La propriétaire lui répète en vain qu’elle entend des voix mais pas les paroles.) Pas de tentures dans la salle de bain, dans la chambre... Il dit qu’elle le voit à poil...

Je lui ai dit aussi que si j’aimais tout le monde, il y avait évidemment des différences, par exemple lui, mon mari, mes enfants, mes amis...

En résumé, Farid ne supporte plus ce que je suis.

Grâce à lui, j’apprends à aimer sans aucune attente, même pas celle du bonheur de la personne que j’aime ! A accompagner un adulte sans le materner. J’aurais peut-être dû le suivre dans ses demandes, le laisser éventuellement commettre des erreurs et qu’il en supporte les conséquences..., moins m’exprimer... Si c’est cela qui est juste, c’est très dur quand on aime...

En résumé, à toute fin utile :

-  Farid n’a aucune structure. Il fait immédiatement ce qui lui passe par la tête. J’ai lui ai écrit sur un papier mes recommandations : qu’il décide par exemple d’une heure pour chaque repas et collation et qu’il respecte sa décision... qu’il inscrive ce qu’il doit faire dans la journée et établisse des priorités... Il sait mais ne le peut pas.
-  Il est obsédé par la propreté ce qui rend impossible la perspective de vivre en couple ou même en communauté. Exemple : le siège de la voiture est sale dit-il. Il va se changer... Il recouvre son duffel-coat avec un sac en plastique pour le protéger de la poussière... Il me reproche de m’essuyer les mains que je viens de passer à l’eau au lieu d’employer du savon... Il n’arrête pas de brosser le sol... Il recouvre ses vêtements déjà dans des sacs en plastique avec un grand essuie de toilette... etc.
-  L’autre idée fixe : celle de grossir alors que son IMC que j’ai calculé avec lui est correct. Mais il dit qu’il est un sportif, par conséquent qu’il doit peser plus.
-  Il ne connaît pas la nourriture. Il n’aime pas grand-chose. Il ne sait pas du tout cuisiner. Il ne connaît pas l’équilibre alimentaire, les portions...
-  Il fume et boit du café sucré toute la journée.
-  La perspective de se déplacer seul quand il ne connaît pas l’affole.
-  Il ne supporte pas la contradiction.
-  Il est perpétuellement en colère, fâché sur tout le monde et sur sa situation.
-  Il est très inquiet sur le plan financier.
-  Centré sur ses problèmes, il paraît incapable de tenir compte d’une autre personne.
-  Il reste très difficile à comprendre, mâchant ses mots. J’ai dû tout le temps lui faire répéter.
-  Il est esclave du « paraître » coûteux : vêtements, vin, toilette, etc.
-  Il est perfectionniste et vérifie méticuleusement les thermostats des radiateurs, les lumières..., ses notes...
-  Il ne se sent pas compris.