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      Marthe et Marie dans la Bible
   

(Luc 10, 38-42 et Jean 11, 1-2 ; 17-32 ; 12, 1-3)

Deux amies de Jesus

S’il n’est pas difficile de trouver dans la Bible des histoires de frères, force est de constater que les textes concernant des soeurs sont beaucoup plus rares. Il est d’autant plus intéressant de voir les Evangiles de Luc et de Jean mettre en valeur Marthe et Marie. Ces deux amies de Jésus sont montrées par l’un et par l’autre évangéliste comme fort différentes. En lisant à la suite les pages qui les concernent, on découvre qu’elles représentent deux modèles, deux expressions de la foi, dont on ne saurait dire lequel est plus important que l’autre. Car elles sont moins là pour elles-mêmes qu’en raison de leur relation avec Jésus et de la parole qu’elles font entendre sur lui et sur la vie avec lui. Elles n’en sont pas moins présentes et bien typées.

En pleine vie

Marthe et Marie sont saisies en pleine vie. Luc parle d’un repas. Jésus est de passage dans le village où elles habitent et dont Jean précise qu’il s’agit de Béthanie. Les deux soeurs se préoccupent de le recevoir, chacune à sa manière. Jean, quant à lui, les montre aux prises avec la maladie très grave de leur frère Lazare et avec sa mort. Il est bon de se souvenir de ce que représentait, dans le contexte du temps, la disparition de l’homme dans une famille. A l’immense peine des deux soeurs dont le récit témoigne abondamment, s’ajoutait la perte d’un soutien nécessaire. Par ailleurs, la confrontation à la mort d’un être cher révèle les humains comme sans doute aucun autre événement de la vie ne peut le faire. Marthe et Marie préviennent tout naturellement Jésus : Seigneur, celui que tu aimes est malade. C’est le réflexe ordinaire lorsque la mort menace. La situation justifie un appel à la présence et a l’aide éventuelle d’un grand ami. Jean note que Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare. Réciproquement et visiblement, dans leur épreuve, les deux soeurs comptent ferme sur l’amitie active de Jésus. Quand leur frère leur est rendu, rien d’étonnant a ce qu’elles offrent un dîner en l’honneur de celui qui les a tous sauvés. Le geste fou de Marie, auquel la suite du texte donne une signification hautement symbolique, s’explique aussi tout simplement par le don extraordinaire dont elle vient d’etre bénéficiaire. Ainsi chacune des trois séquences évangéliques porte un message certes, mais dirions-nous, un message enraciné, incarné dans la vie humaine commune a tous. Et ceci est déjà remarquable.

Marthe

Les deux soeurs ne se ressemblent guère et les textes offrent d’elles deux portraits bien caractérisés. La mémoire populaire a retenu de Marthe les traits d’une ménagère affairée. En regardant les récits de près, on note d’abord en Luc qu’elle est maîtresse de maison : une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison. Elle porte en conséquence la responsabilité de la réception. Et l’on n’est pas surpris de ce qu’elle s’affaire au service, ni même qu’elle intervienne près de Jésus pour qu’il demande à Marie de l’aider. On voit aussi dans le récit de Jean qu’elle est prévenue la première de l’arrivée de Jésus. Les deux évangiles s’accordent, par ailleurs, pour la montrer toujours active Marthe s’affairait au service (Luc 10, 40). Marthe servait tandis que Lazare se trouvait parmi les convives (Jn 12, 2). Les moeurs de l’époque et du pays expliquent cette répartition des rôles. Mais visiblement le tempérament personnel de Marthe joue. Luc précise comment Jésus la voit : Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour bien des choses... De son côté Jean remarque qu’à peine avertie, elle n’attend pas que Jésus arrive dans la maison, mais qu’elle va au-devant de lui. Responsable, attentive au visiteur, prompte à agir : telle est Marthe, et elle n’est blamée que pour un service (trop) compliqué.

Marie

Tout autre apparaît Marie.

Selon Luc, Marthe avait une soeur nommée Marie. On le voit, Marie est ici située en référence à Marthe. Jean, au contraire, parle de Béthanie comme étant le village de Marie et de sa soeur Marthe. Les deux auteurs décrivent Marie assise et aux pieds du Seigneur, avec des variantes significatives cependant. Dans le récit de Luc, Marie a pris la position normale du disciple a l’école d’un maître. Le plus surprenant est qu’une femme prenne cette place et que Jésus l’encourage. Un rabbi du 1er siècle ne dit-il pas : Apprendre la loi à sa fille est comme lui apprendre la débauche ? En un sens on peut dire que dans ce texte Marie se singularise par rapport au rôle traditionnel des femmes. Il n’en est pas de même dans l’Evangile de Jean. Après la mort de son frère, elle est entrée dans la coutume des pleureuses. On la voit entourée d’amis qui cherchent a la consoler, et qui la suivent si elle va au tombeau pour se lamenter. Elle aussi réagit immédiatement a l’annonce de la venue de Jésus. Aussitôt elle va vers lui, et des qu’elle le voit, elle tombe a ses pieds, et de se lamenter avec ceux qui l’accompagnent. Son émotion va gagner Jésus à son tour. Une autre fois encore elle est montrée aux pieds de Jésus. C’est au cours du repas qui suit le retour à la vie de Lazare. Elle arrive avec un parfum de nard pur de grand prix et accomplit le geste qui va l’immortaliser : elle oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux. Volontiers assise, a l’écoute de la parole du Maître, en pleurs quand la mort lui enlève son frère, généreuse jusqu’à la prodigalité, Marie est toute en contrastes avec Marthe sa soeur.

Deux croyantes

Elles partagent cependant la même foi, le même amour. Toutes les deux, elles sont attentives à la personne de Jésus, chacune a sa manière. Elles le reçoivent comme Seigneur. L’une écoute sa parole et l’autre le sert. Si la première expression est claire pour nous, il ne faudrait pas non plus oublier le sens des mots servir et serviteur dans la Bible. Le service du Seigneur traduit la foi à son égard, quelle que soit la forme de ce service. Elles ont aussi la même confiance en leur Maître : Les soeurs envoyèrent dire a Jésus que Lazare etait très malade. Toutes les deux ont visiblement espéré son intervention avant qu’il ne soit trop tard. Et toutes les deux ont le même cri de foi quand il arrive : Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. C’est ce qu’elles ont dû se dire dans leur épreuve. Seul le regret qui perce dans leurs paroles trahit les limites de cette foi pourtant bien réelles. Marthe et Marie représentent deux figures différentes de croyants. Les premières communautés chrétiennes avaient besoin de l’une et de l’autre comme modèles et signes d’encouragement.

La meilleure part

Si les communautés auxquelles s’adresse Luc ont éprouve le besoin d’évoquer l’episode du repas chez Marthe et Marie, c’est qu’il y avait problème au sujet du service de la parole et du service des tables. De fait, le même Luc raconte ces difficultés au chapitre 6 des Actes. Les Douze ne pouvaient plus tout assurer convenablement et les veuves des Hellenistes etaient oubliées dans le service quotidien (Ac 6, 1). Le groupe des Sept est alors institué pour exercer la fonction défaillante, car il ne convient pas, disent les apôtres, de délaisser la parole de Dieu pour le service des tables, si important soit-il. Eux donc continueront à assurer la prière et le service de la Parole. Que Marie soit une femme-disciple ne change rien à l’affaire : C’est bien Marie qui a choisi la meilleure part en s’asseyant aux pieds du Seigneur,elle ne lui sera pas enlevée.

On peut rapprocher de ce choix premier la décision apparemment stupéfiante d’oindre le Seigneur d’une huile parfumée et l’intuition qui la guide. N’est-ce pas parce qu’elle écoute l’enseignement de Jésus qu’elle pressent sa mort prochaine ? N’aurait-elle pas compris qu’en rendant la vie à Lazare, Jésus vient de signer son propre arrêt de mort ? Toujours est-il que Marie est à jamais aux yeux des chrétiens le modèle de ceux qui font le meilleur choix et de ceux dont l’amour ne compte pas. Jésus a pleuré avec elle, il a vu sa détresse devant la mort, il l’a défendue contre les critiques des calculateurs, il a reconnu sa tendresse. Et comme à sa soeur il lui a donné de le voir plus fort que la mort en même temps que si humain dans la peine. Peut-être faut-il dire que Jésus et Marie se sont réciproquement et profondément reconnus.

Si tu crois, tu verras

Ce n’est pourtant pas avec Marie, mais avec Marthe que Jésus a le dialogue le plus sublime selon le texte de Jean 11. Marthe affirme une foi extraordinaire dès le début. Après le reproche si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort, elle ajoute : Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera. Cela ne l’empêche pas, un peu plus tard, de rester pratique et sans doute sceptique : il doit déjà sentir, il y a en effet quatre jours.... Jésus alors lui répond : Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?.

Si tu crois... Jésus demande de croire a l’impossible : Ton frère ressuscitera. Marthe croit déjà à la résurrection au dernier jour comme beaucoup de Juifs de son temps. Il lui reste à entendre la parole inouïe : Je suis la Résurrection et la Vie : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. Il lui reste surtout à croire. Jean met déjà sur ses lèvres une magnifique confession de foi : Seigneur, je crois que tu es le Christ, je crois que tu es le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde. Quatre titres de Jésus sont rassemblés en une même phrase : Seigneur, Christ, Fils de Dieu, Celui qui vient. On devine que Marthe ici est le type même du croyant, qu’elle résume dans sa personne et ses paroles les attentes et la foi d’une multitude. Sa foi est une foi en chemin, qui déjà la porte pourtant et va lui permettre de voir la vie triompher. Ses mots et les mots que Jésus lui adresse sont répétés dans le monde entier depuis des générations, dans les communautes rassemblées par la mort d’un des leurs. Marthe la croyante ouvre la voie de l’espérance à des multitudes.

Soeurs pour les siècles

L’histoire de Marthe et Marie est bien l’histoire de deux soeurs, à la fois semblables et différentes. L’une se situe d’emblée dans le service et il lui est donné de servir Jésus en même temps qu’elle sert son frère, sa soeur et beaucoup d’autres. Elle est, de surcroît, au service de la Parole de Vie, intermédiaire de la plus merveilleuse Révélation. Comme Etienne et Philippe qui, chargés du service des tables, annoncent aussi Jesus et deviennent missionnaires selon le Livre des Apôtres (ch. 7 et 8). La deuxième, apparemment vouée à la contemplation et aux gestes d’adoration inutiles, attire autour d’elle des amis qui grâce à elle reconnaissent Jésus : Beaucoup de ces Juifs qui étaient venus auprès de Marie et qui avaient vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui. Elle aussi est missionnaire, elle aussi sert Jésus. L’une est trop agitée, l’autre est tentée de s’enfermer dans son deuil. Toutes les deux, si humaines et faillibles, sont aimées de Jésus comme l’est leur frère Lazare. Toutes les deux ont été appelées à croire et à voir. Soeurs dans la foi, comme de naissance, il leur arrive de ne pas se comprendre. Entre elles en tout cas Jésus ne choisit pas. Elles représentent depuis le commencement et pour les siècles, deux visages aussi importants l’un que l’autre, de la foi aimante qui ne cessent d’inspirer et de susciter... des disciples de Jésus, tous frères et infiniment divers.

Madeleine Le Saux (texte paru dans la revue RME)

En attente de références complémentaires