Généralités concernant la prison et la justice
 
   
La lutte d’un homme pour changer les prisons vénézuéliennes
Comment faire évoluer nos prisons ?
Une prison écologique et humaine
De l’école du crime à celle de la vie !
Etre incarcéré nuit gravement à la santé
Le tabou du droit de grève et les prisons
Le travail des détenus en prison :
Vivre et travailler en prison : à l’écoute des usagers
La prison, ce n’est pas ce que disent les journaux..
Etre directeur de prison
L’enfer en prison
Mineurs délinquants en prison !
Le théâtre en prison
Peines perpétuelles incompressibles et dignité humaine
Circulaire ministérielle relative aux moyens de coercition et à l’équipement d’intervention
"Une justice à 2 vitesses"
Les prisonniers doivent-ils payer leur détention ?
Lettre ouverte en réponse au plaidoyer d’Hans Meurisse,
Journées nationales prison du 22 au 29 novembre 2014
Osons le débat sur le rôle de la prison
Suède : les prisons se vident
Plate-forme pour sortir du désastre carcéral
Recours contre la prison de Haren
Journées Nationales De La Prison
Un détenu belge demande l’euthanasie
Carte blanche de Manuela Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats
Des êtres humains traités comme des bêtes sauvages !
Appel à rassemblement contre le désastre carcéral
Initiative musicale
Le guide du prisonnier
Les commissions de surveillance des prisons
L’appel des 200 pour un moratoire sur les prisons
     
   
   
 
    Rubriques
 
   
Rapports
Documents fondamentaux
Lois et projets de lois
Réinsertion
Quartiers de haute sécurité
Europe
La santé en prison
     
   
   
 
    Retour vers...
 
   
Prisons
     
   

 
      Le travail des détenus en prison :
    un univers (carcéral) de non-droit (version longue)
    Par Florence Dufaux, sociologue et criminologue, membre de la Commission Prison

Article sur le site de la Ligue des Droits de l’Homme

Etat des droits de l’Homme en Belgique : Rapport 2011>2012

La citoyenneté comporte un ensemble de droits et de devoirs à la fois civils et politiques, économiques, sociaux et culturels. Le travail, s’il était autrefois obligatoire en prison, est aujourd’hui une faveur. En fait, historiquement, le travail comme sanction précède l’avènement, à la fin de 18ème siècle, de la prison moderne, qui repose sur l’enfermement des personnes condamnées aux travaux forcés.

Suite au vote de la loi de principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut interne des détenus, dite Loi Dupont (12/01/2005), le travail n’est plus une obligation pour tout détenu, faisant ainsi correspondre la norme à la réalité de la carence de travail pour les reclus. Les Règles Pénitentiaires Européennes seront d’ailleurs revues dans le même sens l’année suivante tout en prônant, dans la mesure du possible, l’affiliation des détenus travailleurs au régime national de sécurité sociale.

En Belgique, certains détenus travaillent pour le compte de la prison (travail domestique d’entretien de la prison : cuisine, buanderie, nettoyage, distribution de la nourriture ; ateliers de production : menuiserie, imprimerie, forge, reliure mais aussi confection des uniformes des détenus ou encore construction des portes, fenêtres, barreaux et mobiliers des cellules).

Une part importante du travail réalisé par les détenus soutient et participe donc au maintien ainsi qu’à l’entretien de l’institution pénitentiaire.

D’autre détenus travaillent pour le compte d’entrepreneurs privés, principalement dans le but de réaliser des tâches très faiblement qualifiées (mettre des mèches dans des bouteilles désodorisantes, emballer des bougies, du papier ou des serviettes de bain par paquet, rembourrer des coussins ou des sièges, unir différents câbles et petites pièces électriques de base offrant des combinaisons simples, plier des cartes routières, mettre des petits drapeaux sur des cure-dents, etc.). La Régie pénitentiaire s’octroie, à titre de frais de fonctionnement, 40% des revenus de la production réalisée par les détenus en atelier pour le compte de concessionnaires tandis que les travailleurs en reçoivent 60%.

Le labeur en atelier, pour le compte d’entreprises privées, s’organise selon le modèle du « just in time » et de flux tendus : absence de stock, délais de production et de livraison minimaux, main-d’oeuvre quantitativement modulable selon les besoins au jour le jour, présence massive de candidats travailleurs disponibles sur place, gratifications minimales sont autant de caractéristiques carcérales qui peuvent convenir aux entrepreneurs privés.

En terme de droits, un des grands principes de loi Dupont se base sur la normalisation, c’est-à- dire qu’en dehors du préjudice intrinsèque dû à la privation de liberté, le détenu peut, en théorie, jouir d’une détention qui ressemble le plus possible à la vie en société. Il fut donc proposé, dans la loi, d’assujettir les détenus à la sécurité sociale, ce que le gouvernement refusa par voie d’amendement. L’auteur de la proposition de la loi s’en insurgea en vain. Il y a donc une contradiction intrinsèque au sein de la loi Dupont : elle se veut axée sur les droits des détenus mais ces derniers demeurent légalement privés de l’accès à la sécurité sociale et, partant, d’un ensemble de droits économiques et sociaux.

Aujourd’hui, un détenu ne peut donc prétendre quasiment à aucun droit social en prison : il ne signe pas de contrat de travail  ; il ne perçoit pas de salaire mais une gratification de l’ordre de 0,82 euros s’il travaille pour la Régie, il est gratifié à la pièce pour le compte du concessionnaire privé ; il ne cotise pas pour sa pension ; il ne peut s’inscrire au chômage malgré le manque prégnant de labeur en institution pénitentiaire ; s’il percevait le CPAS, il n’y a plus droit en prison . Dans ces conditions, les détenus peuvent être renvoyés du jour au lendemain, sans préavis, ni indemnité.

Il n’existe, à ce jour , aucune possibilité de recours officiel contre les conditions de travail ou contre une décision de retrait d’emploi. Les droits collectifs des travailleurs ne sont pas reconnus (droit syndical ou, plus largement, droit d’association). Il n’existe pas de règlement de travail. Beaucoup de détenus travaillent à temps partiel, en dehors des horaires standards (labeur pendant les jours fériés, à rémunération égale) et, pour le travail à destination des concessionnaires, bien des personnes apprennent la veille au soir s’ils travailleront le lendemain matin, en fonction de la fluctuation des demandes des entrepreneurs.

Quelques risques sociaux sont couverts par la Régie : lorsque le travailleur ne peut travailler durant plusieurs jours suite à un accident de travail, il reçoit une indemnité jusqu’à sa revalidation. La Régie attribue également une allocation (qui peut se poursuivre après la détention) en cas d’incapacité ou d’invalidité permanente résultant d’un labeur effectué en milieu carcéral.

Le labeur pénitentiaire demeure incontestablement marqué par le non-droit et pourtant, la plupart des détenus en sont demandeurs et ce, à notre sens, pour quatre raisons.
-  Premièrement, la prison ne permet pas au détenu de couvrir ses besoins matériels primaires en nourriture et produits d’hygiène de base et l’entourage du reclus, lorsque les liens affectifs ne sont pas distendus, n’est pas toujours en mesure de soutenir la personne incarcérée.
-  Deuxièmement, le fait de travailler permet de sortir de cellule, de s’extraire du confinement et de l’inactivité, associés au stress et à la déprime.
-  Troisièmement, le régime de détention, pour un travailleur, est souvent plus souple : il a droit a une douche tous les jours, peut garder la porte de sa cellule ouverte, est considéré comme un détenu de confiance. La faveur de l’octroi d’un travail lui permettra d’obtenir d’autres faveurs, il aura un statut, il sera reconnu, ce qui lui permettra de lutter contre les processus de dépersonnalisation et de déshumanisation.
-  Quatrièmement, de par son travail, la personne agrandira son réseau social et son périmètre géographique à l’intérieur de l’institution carcérale : il gagnera, pour ainsi dire, en liberté et en autonomie.

Pour l’administration pénitentiaire, le travail a une finalité pragmatique : « Un détenu qui s’occupe pendant sa journée, c’est un détenu beaucoup plus correct et plus calme avec le personnel. » (Assistant pénitentiaire). « S’il y a peu de travail, si les détenus restent en cellule, ils sont plus nerveux, on risque plus des émeutes et des histoires pareilles. » (Directeur de la Régie Pénitentiaire)

Remarquons ainsi que, selon les discours officiels des acteurs de terrain, le travail pénitentiaire ne vise pas à réaliser un quelconque idéal de moralisation, de réinsertion, ou de formation. Sa visée est, de manière plus pragmatique, occupationnelle et, de façon gestionnaire, tournée vers des objectifs internes de maintien de l’ordre en détention.

L’administration pénitentiaire assume également totalement le fait que la sécurité sociale n’a pas sa place en prison : « Il n’y pas de sécurité sociale, donc cela veut dire que les détenus tire-au-flanc ou les détenus réellement malades, ben ils ne sont pas payés en leur absence. On paie les heures réellement prestées. [...] Et les jours de congé, les jours de maladie, les jours d’absence non justifiée, ne sont pas payés aux détenus. Donc ça les responsabilise aussi, à eux euh ... d’être assidus au travail etc. et d’éviter euh... parce que si on dit ou s’il part chez son assistante sociale la demi-journée et euh... il est correct qu’il soit pas payé parce qu’on aura peut-être mis un autre à sa place en remplacement parce que le travail doit être fait. » (Assistant technique)

L’absence de système de protection sociale du travailleur est ainsi justifiée par un objectif de responsabilisation du détenu ainsi qu’un impératif de production. Hormis l’accident de travail, tout se passe comme si l’emploi en prison n’impliquait aucune responsabilité collective ou institutionnelle et que l’entièreté des conditions de réalisation de celui-ci reposait sur les épaules de la personne employée.

Une telle individualisation de l’organisation et de la gestion du labeur reflète l’institutionnalisation du caractère atomisé de la personne détenue.

A l’heure où les multinationales vont entrer en prison par le biais de la construction des nouveaux complexes pénitentiaires en partenariat public privé et s’occuper, avec les détenus, de gérer toute une partie de l’institution pénitentiaire (confection et distribution de la nourriture, buanderie, ateliers, etc.), il est certainement temps de remettre à l’agenda politique la question des droits des hommes et des femmes détenues à un contrat de travail, un salaire décent, une organisation syndicale, ainsi que, dans son ensemble, une sécurité sociale digne de ce nom.

1 et 2 Texte intégral « L’emploi des personnes incarcérées en prison : pénurie, flexibilité et précarité. Une normalisation ? » publié dans « Déviance et Société », vol. 34, 2010