Article sur le site de la Ligue des Droits de l’Homme
Etat des droits de l’Homme en Belgique :
Rapport 2011>2012
La citoyenneté comporte un ensemble de droits et de devoirs à la fois civils et politiques,
économiques, sociaux et culturels. Le travail, s’il était autrefois obligatoire en prison, est
aujourd’hui une faveur. En fait, historiquement, le travail comme sanction précède
l’avènement, à la fin de 18ème siècle, de la prison moderne, qui repose sur l’enfermement
des personnes condamnées aux travaux forcés.
Suite au vote de la loi de principes
concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut interne des
détenus, dite Loi Dupont (12/01/2005), le travail n’est plus une obligation pour tout détenu,
faisant ainsi correspondre la norme à la réalité de la carence de travail pour les reclus. Les
Règles Pénitentiaires Européennes seront d’ailleurs revues dans le même sens l’année
suivante tout en prônant, dans la mesure du possible, l’affiliation des détenus travailleurs au
régime national de sécurité sociale.
En Belgique, certains détenus travaillent pour le compte de la prison (travail domestique
d’entretien de la prison : cuisine, buanderie, nettoyage, distribution de la nourriture ; ateliers
de production : menuiserie, imprimerie, forge, reliure mais aussi confection des uniformes
des détenus ou encore construction des portes, fenêtres, barreaux et mobiliers des cellules).
Une part importante du travail réalisé par les détenus soutient et participe donc au maintien
ainsi qu’à l’entretien de l’institution pénitentiaire.
D’autre détenus travaillent pour le compte
d’entrepreneurs privés, principalement dans le but de réaliser des tâches très faiblement
qualifiées (mettre des mèches dans des bouteilles désodorisantes, emballer des bougies, du
papier ou des serviettes de bain par paquet, rembourrer des coussins ou des sièges, unir
différents câbles et petites pièces électriques de base offrant des combinaisons simples,
plier des cartes routières, mettre des petits drapeaux sur des cure-dents, etc.). La Régie
pénitentiaire s’octroie, à titre de frais de fonctionnement, 40% des revenus de la production
réalisée par les détenus en atelier pour le compte de concessionnaires tandis que les
travailleurs en reçoivent 60%.
Le labeur en atelier, pour le compte d’entreprises privées,
s’organise selon le modèle du « just in time » et de flux tendus : absence de stock, délais de
production et de livraison minimaux, main-d’oeuvre quantitativement modulable selon les
besoins au jour le jour, présence massive de candidats travailleurs disponibles sur place,
gratifications minimales sont autant de caractéristiques carcérales qui peuvent convenir aux
entrepreneurs privés.
En terme de droits, un des grands principes de loi Dupont se base sur la normalisation, c’est-à-
dire qu’en dehors du préjudice intrinsèque dû à la privation de liberté, le détenu peut, en
théorie, jouir d’une détention qui ressemble le plus possible à la vie en société. Il fut donc
proposé, dans la loi, d’assujettir les détenus à la sécurité sociale, ce que le gouvernement
refusa par voie d’amendement. L’auteur de la proposition de la loi s’en insurgea en vain. Il y
a donc une contradiction intrinsèque au sein de la loi Dupont : elle se veut axée sur les droits
des détenus mais ces derniers demeurent légalement privés de l’accès à la sécurité sociale
et, partant, d’un ensemble de droits économiques et sociaux.
Aujourd’hui, un détenu ne peut
donc prétendre quasiment à aucun droit social en prison : il ne signe pas de contrat de travail
; il ne perçoit pas de salaire mais une gratification de l’ordre de 0,82 euros s’il travaille pour la
Régie, il est gratifié à la pièce pour le compte du concessionnaire privé ; il ne cotise pas pour
sa pension ; il ne peut s’inscrire au chômage malgré le manque prégnant de labeur en
institution pénitentiaire ; s’il percevait le CPAS, il n’y a plus droit en prison . Dans ces
conditions, les détenus peuvent être renvoyés du jour au lendemain, sans préavis, ni
indemnité.
Il n’existe, à ce jour , aucune possibilité de recours officiel contre les conditions de
travail ou contre une décision de retrait d’emploi. Les droits collectifs des travailleurs ne sont
pas reconnus (droit syndical ou, plus largement, droit d’association). Il n’existe pas de
règlement de travail. Beaucoup de détenus travaillent à temps partiel, en dehors des
horaires standards (labeur pendant les jours fériés, à rémunération égale) et, pour le travail à
destination des concessionnaires, bien des personnes apprennent la veille au soir s’ils
travailleront le lendemain matin, en fonction de la fluctuation des demandes des
entrepreneurs.
Quelques risques sociaux sont couverts par la Régie : lorsque le travailleur ne peut travailler
durant plusieurs jours suite à un accident de travail, il reçoit une indemnité jusqu’à sa
revalidation. La Régie attribue également une allocation (qui peut se poursuivre après la
détention) en cas d’incapacité ou d’invalidité permanente résultant d’un labeur effectué en
milieu carcéral.
Le labeur pénitentiaire demeure incontestablement marqué par le non-droit et pourtant, la
plupart des détenus en sont demandeurs et ce, à notre sens, pour quatre raisons.
Premièrement, la prison ne permet pas au détenu de couvrir ses besoins matériels primaires
en nourriture et produits d’hygiène de base et l’entourage du reclus, lorsque les liens affectifs
ne sont pas distendus, n’est pas toujours en mesure de soutenir la personne incarcérée.
Deuxièmement, le fait de travailler permet de sortir de cellule, de s’extraire du confinement et
de l’inactivité, associés au stress et à la déprime.
Troisièmement, le régime de détention,
pour un travailleur, est souvent plus souple : il a droit a une douche tous les jours, peut
garder la porte de sa cellule ouverte, est considéré comme un détenu de confiance. La
faveur de l’octroi d’un travail lui permettra d’obtenir d’autres faveurs, il aura un statut, il sera
reconnu, ce qui lui permettra de lutter contre les processus de dépersonnalisation et de
déshumanisation.
Quatrièmement, de par son travail, la personne agrandira son réseau
social et son périmètre géographique à l’intérieur de l’institution carcérale : il gagnera, pour
ainsi dire, en liberté et en autonomie.
Pour l’administration pénitentiaire, le travail a une finalité pragmatique : « Un détenu qui
s’occupe pendant sa journée, c’est un détenu beaucoup plus correct et plus calme avec le
personnel. » (Assistant pénitentiaire). « S’il y a peu de travail, si les détenus restent en
cellule, ils sont plus nerveux, on risque plus des émeutes et des histoires pareilles. »
(Directeur de la Régie Pénitentiaire)
Remarquons ainsi que, selon les discours officiels des acteurs de terrain, le travail
pénitentiaire ne vise pas à réaliser un quelconque idéal de moralisation, de réinsertion, ou de
formation. Sa visée est, de manière plus pragmatique, occupationnelle et, de façon
gestionnaire, tournée vers des objectifs internes de maintien de l’ordre en détention.
L’administration pénitentiaire assume également totalement le fait que la sécurité sociale n’a
pas sa place en prison : « Il n’y pas de sécurité sociale, donc cela veut dire que les détenus tire-au-flanc ou les
détenus réellement malades, ben ils ne sont pas payés en leur absence. On paie les heures
réellement prestées. [...] Et les jours de congé, les jours de maladie, les jours d’absence non
justifiée, ne sont pas payés aux détenus. Donc ça les responsabilise aussi, à eux euh ...
d’être assidus au travail etc. et d’éviter euh... parce que si on dit ou s’il part chez son
assistante sociale la demi-journée et euh... il est correct qu’il soit pas payé parce qu’on aura
peut-être mis un autre à sa place en remplacement parce que le travail doit être fait. »
(Assistant technique)
L’absence de système de protection sociale du travailleur est ainsi justifiée par un objectif de
responsabilisation du détenu ainsi qu’un impératif de production. Hormis l’accident de travail,
tout se passe comme si l’emploi en prison n’impliquait aucune responsabilité collective ou
institutionnelle et que l’entièreté des conditions de réalisation de celui-ci reposait sur les
épaules de la personne employée.
Une telle individualisation de l’organisation et de la
gestion du labeur reflète l’institutionnalisation du caractère atomisé de la personne détenue.
A l’heure où les multinationales vont entrer en prison par le biais de la construction des
nouveaux complexes pénitentiaires en partenariat public privé et s’occuper, avec les
détenus, de gérer toute une partie de l’institution pénitentiaire (confection et distribution de la
nourriture, buanderie, ateliers, etc.), il est certainement temps de remettre à l’agenda
politique la question des droits des hommes et des femmes détenues à un contrat de travail,
un salaire décent, une organisation syndicale, ainsi que, dans son ensemble, une sécurité
sociale digne de ce nom.
1 et 2 Texte intégral « L’emploi des personnes incarcérées en prison : pénurie, flexibilité et
précarité. Une normalisation ? » publié dans « Déviance et Société », vol. 34, 2010
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