Extraits
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Le soir du 9 août, Frédéric roule son fauteuil vers moi avant le dîner. Je lis dans ses yeux une douce malice. Il s’approche et me tend, autant qu’il le peut, avec ses bras repliés, croisés sur eux-mêmes, une feuille de papier. C’est une lettre de cinq lignes. Voilà ce qu’il tapait si frénétiquement. Cinq lignes écrites en deux jours de frappe harassante, deux jours d’aller et retour avec son fauteuil, deux jours de concentration intense. Cinq lignes pour me souhaiter un bon anniversaire. Cinq lignes d’amour. Le premier cadeau d’anniversaire de ma vie...
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Cinq lignes d’amour viennent de faire basculer ma vie. Je n’ai pas été aimé ? Eh bien, je vais aimer les autres comme j’aimerais qu’on m’aime. Si j’attends d’avoir reçu pour donner, j’y serai encore à la saint-glinglin. Mes combats futurs seront de vivre ce que l’on m’a empêché de vivre.
Je vais regarder les autres comme j’aimerais que l’on me regarde. Avec amour, patience, miséricorde, et non plus avec ces yeux du bagarreur de survie, aiguisés comme des lames. Je vais apprendre à donner avec mon coeur. C’est décidé.
Soudain remontent à la surface de ma mémoire, comme des bulles puantes, ces paroles insupportables qui ont empoisonné mon enfance : "Les enfants battus, c’est génétique, ils battront leurs enfants", "Les enfants d’alcooliques, c’est génétique, ils boiront", "Les enfants abandonnés, c’est génétique, ils abandonneront", "Les enfants de parents séparés, c’est génétique, ils se sépareront"...
Et de toute façon ma chère amie, les chiens ne font pas des chats ! Pauvres enfants, soixante-quinze à quatre-vingts pour cent d’entre eux vont reproduire les tares de leurs parents. Ils n’y peuvent rien, c’est génétique !
Ce soir-là dans ma chambre, seul avec le bon Dieu, je décide de faire mentir la génétique, de mettre le passé au placard et d’épousseter ma mémoire. De ne plus écouter les sermons des gens qui savent toujours tout et les conneries des semeurs de désespoir.
On peut remettre les compteurs à zéro, il suffit de le vouloir.
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