J’avais besoin d’un accord de la direction d’une prison sur base d’un certificat de bonnes vie et moeurs pour pouvoir rencontrer Farid. Lorsque j’ai voulu m’en servir, il était déjà périmé. J’ai appris entretemps que ce certificat n’était valable que trois mois, puis un mois. J’ai donc dû demander un autre certificat à l’administration communale. J’ai enfin pu obtenir l’accord de la prison de Nivelles pour rencontrer Farid "en parloir d’avocat".
Un dimanche soir, Farid me laisse un message sur mon répondeur téléphonique. Le lundi matin, je téléphone à la prison pour vérifier si je peux aller le voir et l’après-midi du même jour, je saute dans le train Lessines-Bruxelles-vers Nivelles.
Arrivée devant la prison, il est 15h10, je sonne à la grande porte. Personne ne vient ouvrir. J’insiste. Je regarde par les petites fenêtres, je vois qu’il y a un sas et une autre grande grande porte...
Sans réaction, je regarde plus loin et découvre une autre porte, normale celle-là. J’entends la sonnette. J’attends. J’insiste. Personne ne vient ouvrir. J’appelle mon mari pour qu’il téléphone à la prison afin de signaler ma présence. Et je marche plus loin. Enfin, là, au bout d’un chemin, je vois du monde. C’est la bonne porte ! Il est 15H20.
Un gardien m’accueille gentiment, m’explique que je dois présenter l’accord de la direction et ma carte d’identité. Il y a du monde dans un bureau derrière la vitre et une fente par laquelle je passe la lettre et ma carte d’identité. Je vois qu’on vérifie soigneusement la concordance des deux documents et que je suis "encodée" (ce sera pour toutes les prisons, ouf). Un préposé me demande de me mettre contre le mur car on va me photographier. Je reçois alors un "pass" que je devrai montrer partout lors du trajet. Je suis impressionnée. Je peux difficilement décrire ce sentiment qui m’oppresse : colère sourde, stress, angoisse...
Le gardien constate que j’ai un sac : je dois le laisser. Je ne peux même pas prendre un carnet et de quoi noter ni le livre que je comptais offrir à Farid : cela n’est possible que le W-E quand il y a assez de personnel pour les visites pour contrôler. Je dois vider mon porte-monnaie dans un sac en plastique (un peu de monnaie pour acheter une boisson, un bonbon lors de la visite) et acheter un cadenas 5 Euros pour enfermer mon sac dans une armoire semblable à celles qu’on trouve en général dans les bassins de natation. Je demande si ce n’est pas possible de garder mon sac dans un coin pour m’éviter cette dépense pour laquelle je n’avais pas été prévenue. Ce n’est pas possible. Va-t-on me racheter le cadenas après usage ? Réponse négative. Je dois acheter le cadenas et le garder.
Entre chaque démarche, il y a une grille qui s’ouvre sur ordre d’un préposé et qui doit être soigneusement refermée après usage.
Puis, vient le "passage" contrôlé comme dans les aéroports. Je dois déposer mes bracelets et ma montre dans un panier qui passe dans un sas de contrôle sur un tapis roulant. Lorsque je traverse, la sonnette retentit : il y a un problème. Finalement, ce seront mes chaussures qui doivent aussi passer sur le tapis roulant.
Enfin, je peux continuer jusqu’au lieu de rendez-vous après avoir encore franchi une grille sécurisée. Il est 15H40.
Là j’attendrai Farid environ 20 minutes dans une pièce comme un cube, sans fenêtre, éclairée au plafond par un néon, aérée comme dans les toilettes. La porte vitrée fait face à une autre pièce vitrée de l’autre côté du couloir où se trouve un surveillant devant des écrans TV.
Voilà Farid enfin. Sourires. 4 bisous (comme les français). Il s’assied dos à la porte. Il me parle, me parle, me parle... de son expérience douloureuse, de sa révolte, de sa volonté de "rester digne", de "garder son coeur", des exercices physiques qu’il fait chaque jour. Son parler est difficile, rapide, il mange ses mots. Je lui parle aussi. Qu’est-ce que cet homme de 42 ans fait encore en prison où il se trouve depuis plus de 20 ans : il a une fiancée, il ne demande qu’à être heureux. C’est d’autant plus aberrant quand on se plaint que les prisons sont surpeuplées !
Une petite heure merveilleuse, c’est trop vite passé... Nous nous reverrons.
Farid a 25 ans de moins que moi. Je l’adopte dans mon coeur comme un jeune frère et je ferai tout pour lui et au-delà de lui, afin que les prisons rehaussent leur conscience pour le bien-être de leurs directeurs, des surveillants et des détenus, et finalement, de la société toute entière.
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