Actes du Colloque
 
   
Préface de Jean-Michel Hennart
Marthe-Marie Rochet
Yamina Ghoul
1. Les jeunes et l’argent
2. Les jeunes et la publicité
3. Les jeunes et la santé
4. Les jeunes et les besoins vitaux
5. Les droits des jeunes consommateurs
Les ateliers de réflexions
1. Atelier les jeunes et l’argent
2. Atelier les jeunes et la publicité
3. Atelier les jeunes et la santé
4. Atelier les jeunes et les besoins vitaux
5. Atelier les droits des jeunes consommateurs
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      5. Les droits des jeunes consommateurs
    Pierre Dejemeppe
    Conseiller auprès du Ministre de l’Economie pour les questions de consommation

Merci beaucoup pour votre invitation. C’est toujours un peu difficile de terminer une matinée où l’on a souvent d’autres envies que celle d’entendre encore un exposé. Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire un catalogue des droits du consommateur. Ce catalogue [1] a déjà été fait avec mon ami Jacques Laffineur, qui est en train de l’actualiser.

Jeunes et consommation, quelle régulation ?

Je vais donc essayer de me situer un peu dans l’avenir. Ce qu’on entend beaucoup de la part d’associations, de parents notamment, c’est que les jeunes sont confrontés, dans le domaine de la consommation, à des situations qui sont spécifiques et qui requièrent dès lors une protection spécifique. Alors qu’aujourd’hui, c’est vrai, il n’y a pas, ou peu en tout cas, de protection spécifique du jeune consommateur.

Ce constat est exact, quand on prend par exemple la convention sur le droit de l’enfant qui rassemble l’ensemble des droits de l’homme des trois générations : les libertés, les droits civils, les droits économiques, culturels et sociaux. Seuls les droits du jeune consommateur ont été oubliés ! Même si bien entendu un certain nombre de droits de cette convention ont un effet sur les jeunes consommateurs, comme le droit à l’éducation ou le droit à l’information.

Pourquoi protéger le jeune ? Quel est le sens de la régulation ?

Je vais prendre un exemple assez simple : le Ministre a été interpellé à la Chambre cette semaine, une nouvelle fois, sur le problème concret qui concerne la publicité pour les fêtes enfantines. Je ne sais pas si vous le savez, mais il y a un code de bonne conduite qui a été conclu entre les consommateurs et les professionnels pour essayer de limiter la publicité à l’approche des fêtes de Saint- Nicolas, de Noël et de Pâques. On interpelle régulièrement le Ministre avec cette question : ne faudrait-il pas réglementer et donc fixer spécifiquement des dates à partir desquelles on peut commencer à voir Saint-Nicolas ou le chapeau du Père Noël, etc.

On doit se demander, par rapport à cette demande à quoi ça va servir exactement. Quel est l’enjeu de cette réglementation par rapport à l’ensemble des problèmes posés par la publicité. Est-ce le type de réglementation qui va servir à l’intérêt de l’enfant ? Ou est-ce qu’il ne va pas servir plutôt l’intérêt des parents ? En rassurant les parents ? En diminuant la pression de la publicité sur les enfants et dès lors la pression des enfants sur les parents ? Ce sont tous deux des intérêts tout à fait légitimes.

Je voudrais déjà faire deux réflexions sur des questions préalables à la régulation et puis je terminerai par quelques chantiers qui pourraient s’ouvrir.

La première réflexion est un peu générale et connue mais je pense qu’il est intéressant peut-être de la reprendre et de la cadrer avec l’un ou l’autre exemple. Comme vous le savez, le jeune, qu’il soit adolescent ou enfant, est un concept culturel, c’est-à-dire qu’il est le produit d’une société à un moment donné. Il est évident que l’enfant à Rome, ou l’enfant au Moyen-Age est complètement différent de l’enfant d’aujourd’hui. L’enfant est une création récente de quelques siècles. L’enfant n’existait pas si je puis dire ; il n’était pas perçu de la même manière.

Et donc, au 20ème siècle, on a assisté évidemment à une montée en puissance de l’enfant, qui aujourd’hui est considéré comme le bien le plus précieux de la société. Cela s’est fait sur fond de transformation sociale et de remodelage de la famille, du rôle de la famille, et du rôle évidemment des parents, du rôle aussi qui s’est profondément modifié à l’intérieur du couple, le rôle de la femme et, peut-être encore plus ces 15 dernières années, du rôle de l’homme …

Ces 20 dernières années ont été marquées, me semble-t-il, dans cette évolution par deux événements symboliques extrêmement marquants. Le premier, j’en ai déjà parlé, c’est la convention sur les droits de l’enfant, qui est le positionnement de l’enfant comme sujet du droit, et on pourrait dire que cette convention vient mettre fin à la tradition séculaire qui veut que l’enfant jouisse de tous les droits mais n’en exerce aucun. Avec cette convention, les jeunes sont déclarés acteurs et capables d’exercer ces droits. On peut dire que cette convention opère une coupure sémantique dans la conception formelle que l’on peut avoir de l’enfant.

Deuxième événement, c’est assurément l’affaire Dutroux qui a, si je puis dire, matérialisé le consensus social de la primauté de l’enfant. En 20 ans, on a vu s’élaborer plus de réglementations concernant l’enfant que pendant 20 siècles que ce soit dans le domaine de la justice, des libertés, des droits civils ou de la sécurité.

L’intérêt de l’enfant est devenu en quelque sorte un dogme aujourd’hui. Et je crois qu’il convient d’être parfois attentif au fait que ce dogme parfois nous aveugle.

Je vais prendre un exemple dans le domaine de la consommation : il y a une proposition de loi en ce qui concerne les jeux vidéos et la violence effective d’une partie importante de ces jeux. Dans cette proposition de loi, on propose notamment que soit instituée une commission qui aurait pour fonction de donner son accord préalable à la mise sur le marché de jeux vidéos, donc bien entendu qui pourrait interdire la mise sur le marché de jeux vidéos.

Pourquoi pas ? Je ne juge pas ici l’opportunité de faire ça ou non. Il faut quand même remarquer que dans un contexte international ça paraît difficile à faire, mais peu importe. Ce que je voudrais simplement vous faire constater, c’est que depuis 20-30 ans, on est dans un mouvement libéral au niveau de la liberté d’expression, qui va à l’encontre de toute forme de censure. Proposer cela en 2002, dans l’intérêt de l’enfant, est une entorse assez importante à une forme d’expression que toute la société, tout le mouvement propage actuellement. Ce n’est pas un exemple isolé. Je crois qu’il y a dans le domaine de la régulation au nom de l’intérêt de l’enfant, une tension assez forte entre d’une part l’évolution vers la privatisation des relations familiales et d’autre part, une intrusion de la puissance publique à l’intérieur des familles au nom de l’intérêt de l’enfant et là, pensons tout particulièrement à tout ce qui s’est fait ces dernières années en matière de maltraitance de l’enfant, d’entorse au secret professionnel, au rôle des intervenants sociaux…

Deuxième réflexion en termes de régulation : les demandes de réglementation sont faites sur base de certaines influences de la société de consommation, sur le comportement des enfants. Des domaines bien connus : l’effet de la publicité sur les enfants ; l’effet de la violence, des médias, de la télévision, du cinéma ou des jeux vidéos sur les enfants.

Ces influences sont étudiées dans certaines études qui sont loin d’être unanimes.

Deux études ont été publiées récemment sur les rapports entre les jeunes et la publicité.

Une étude porte sur l’analyse du comportement de milliers d’enfants face à la publicité. La conclusion est la suivante : une interdiction totale de la publicité destinée aux enfants n’est pas la meilleure alternative car, d’une part, les enfants seraient de toute façon exposés à d’autres types de stimuli publicitaires et ensuite, et c’est le point le plus important, je cite : "parce qu’il semble y avoir un effet positif d’une exposition cumulée à la publicité".

Une autre étude, remise au Ministre de l’Education Nationale française, montre que par rapport à l’envahissement publicitaire, notamment télévisuel, il convient que les pouvoirs publics encadrent cette publicité. Voilà, c’est un exemple où les pouvoirs publics sont confrontés à deux thèses qui sont diamétralement opposées.

Le deuxième exemple est peut-être plus intéressant ; c’est dans le domaine de la violence et de l’effet des jeux, de l’effet des scènes de cinéma sur le comportement des enfants. Je lis cette semaine une carte blanche dans Le Soir, sur "limiter dans le temps l’usage des jeux vidéos".

Les psychologues, dans leur jargon, parlent à propos de l’effet des scènes violentes, d’un effet cathartique et d’un effet mimétique. Pour simplifier, l’un c’est le défoulement dans l’imaginaire, l’autre c’est le défoulement dans la réalité. Et ce psychologue déclare que cette controverse est close : toutes les expérimentations, toutes les recherches ont montré que la théorie cathartique devait être abandonnée. Quand j’ai lu cela, je me suis rappelé une étude assez récente -moins d’un an- qui avait été faite sur l’effet du cinéma sur les jeunes, et disait exactement le contraire.

J’ai récemment lu un article assez intéressant d’un professeur français qui travaille sur l’effet des médias sur les jeunes. Je vais vous citer deux ou trois phrases qui sont éclairantes : "Quel bilan peut-on faire des recherches sur l’impact des médias sur les enfants ? Malgré l’aspect prolifique des travaux, on trouve non pas une théorie lumineuse et définitive mais des résultats divergents, des données parcellaires et limitées. Toute tentative de bilan débouche sur le doute et l’incapacité à trancher".

Cette impasse est due selon nous à des raisons d’ordre méthodologique, mais aussi idéologique : ces études nous renseignent moins en ce sens, sur les répercussions affectives que sur les représentations qu’ont les chercheurs du média étudié et de la violence représentée de l’enfant observé.

Entre le défenseur de l’effet cathartique et celui de l’effet mimésis ou mimétique, se glisse un peu ce que le chercheur a envie de trouver.

Si les inquiétudes éthiques soulevées par les travaux sur les répercussions sont légitimes, intéressantes en tant que telles, elles deviennent dérangeantes lorsqu’une attitude moralisatrice se cache sous couvert de données scientifiques. Assumons notre morale indispensable, et n’avançons pas masqués derrière des effets supposés.

Lorsque l’on pointe des jeux vidéos dont le seul but est de tuer, de torturer des ennemis par empalement ou décapitation, d’écraser le plus grand nombre de piétons - les personnes handicapées ou âgées remportant plus de points - le problème à soulever n’est pas l’effet non prouvé à ce jour, mais les principes élémentaires de la morale qui sont, eux, non discutables.

Je voudrais dire, en conclusion de ce point, qu’un des problèmes auquel on est confronté lorsqu’on donne des droits à l’enfant, ou lorsqu’on réglemente (que ce soit réglementer la publicité ou la violence dans les jeux ou dans le cinéma), c’est dans quelle mesure l’adulte ne transfère-t-il pas à l’enfant une responsabilité qu’il est incapable d’assumer.

C’est un débat que l’on retrouve dans les jeunes et la consommation ; c’est un débat que vous connaissez probablement dans d’autres domaines parce qu’il traverse tout le débat depuis 10 ans sur la place de l’enfant dans le système judiciaire et notamment, sur la place de l’enfant dans les procédures en divorce.

Est-ce qu’il n’y a pas le risque que l’on transfère à l’enfant une responsabilité que les adultes sont incapables d’assumer ?

C’est la même chose évidemment dans le domaine de la violence où ce sont, bien entendu, les adultes qui sont considérablement fragilisés par cette violence physique.

Il faut aussi remarquer que toutes les violences ne sont pas, si je puis dire, grillagées, ne sont pas interdites. Une des plus grandes violences pour l’enfant, c’est probablement la perte de ses parents et que Simbad sans papa et que Bambi sans maman sont évidemment des dessins animés qui ne font pas l’objet d’un quelconque interdit.

Alors, s’il est louable de dénoncer la nature d’une partie de la violence de la production audiovisuelle, l’accusation doit porter probablement plus sur une politique du contenu et non sur une problématique de l’effet.

La signalétique, ou l’information plus complète du consommateur, c’est certainement une bonne chose. Mais je voudrais quand même rappeler que la question essentielle reste malgré tout : "pourquoi tant de haine et tant de violence sur les écrans ?". Et donc c’est à cette question-là évidemment qu’il faut trouver une réponse. Cette question-là interroge les fondements de la production, les fondements de la diffusion, les fondements de la consommation, qui en matière visuelle, est complètement phagocytée par le trio de l’audience, de la concurrence et de la publicité.

Domaine où aussi, ne nous le cachons pas, il y a une hypocrisie de part et d’autre, une hypocrisie des téléspectateurs, ou des parents qui, dans les sondages, vont demander plus de culture mais qui sont les mêmes, eux et moi, qui regardons des programmes de divertissement, des programmes violents…

Hypocrisie du côté de la production qui parle de l’offre et de la demande et qui ne nous fait des programmes qu’en fonction de la demande alors que l’on sait bien que c’est l’offre qui est déterminante.

L’article 41 de la loi dite du Pacte scolaire (Loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’Enseignement) précise […] que "toute activité de propagande politique ainsi que toute activité commerciale sont interdites dans les établissements d’enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d’enseignement libre subventionnés". De même, l’article 16 du décret du 1er février 1993 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l’enseignement libre subventionné et l’article 9 du décret du 6 juin 1994 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l’enseignement officiel subventionné prévoient respectivement que les membres du personnel ne peuvent utiliser leurs élèves à des fins de propagande politique, religieuse ou philosophique ou de publicité commerciale. Pour rappel, la notion d’activité commerciale couvre notamment toute action à caractère publicitaire tendant à faire la promotion de produits commerciaux. Déguisée ou légitimée, la publicité doit donc, au maximum, être proscrite à l’école. Ceci commence par le simple respect des dispositions légales. Source : A l’école d’une alimentation saine - A table les cartables !

Ministère de la Santé et de l’Enfance de la Communauté française.


[1] Pierre Dejemeppe et Jacques Laffineur : Le statut juridique du consommateur mineur d’âge, Louvain-la- Neuve, Collection Droit et Consommation, Centre de Droit de la Consommation, 1997, 225 pages.