Ce texte fera partie des actes du colloque du 15 mars 2002 : « Les jeunes et la consommation : le bien-être à quel prix? »

Les jeunes et les Besoins vitaux

Martine Content-Dupont

Formatrice d’adultes dans le secteur de l’Éducation Permanente.


D’une question à une autre

Le bien-être, à quel prix ?  La question posée par l’intitulé de ce colloque attend que nous tentions, en réponse, d’évaluer le coût actuel de l’aventure « société de consommation », en cadrant la réflexion sur les jeunes et en se référant à la notion de besoin vital.

Cette réponse, seuls les jeunes sont à même de la chercher, chacun pour soi-mêmes et cependant de préférence ensemble, dans une démarche collective qui leur permettra un positionnement (tant personnel que de groupe) traduisible dans l’impact que leur génération aura inévitablement sur leur vie future… et sur la nôtre.  Je veillerai donc à éviter la tentation de répondre à cette question.

Mais quel est l’énoncé du problème ? Quelles en sont les données ?

C’est sur ces questions-là que nous avons des réponses à donner et un rôle à jouer en tant qu’adultes concernés par le thème de la consommation des jeunes.  Nous pouvons en tout cas aligner les éléments en jeu, en déployer les différentes facettes et accroître l’information que nous en avons.  Car c’est seulement à partir de là que nous susciterons chez les jeunes une mise en relation pertinente de ces différents éléments pour qu’ils élaborent leur réponse à la question du prix. Chemin faisant, nous aurons sans doute l’occasion de mener la réflexion plus loin en ce qui concerne l’interface qui existe entre nos besoins et notre propre consommation, peut-être même, de revisiter nos choix de vie et nos propositions de solutions collectives, de nous poser la question de savoir ce qui nous motive à produire comme il nous est demandé de consommer par la société que nous produisons.

Objectifs et intentions

L’objet de cet article se limite donc à vous fournir de l’information nécessaire pour éclairer une des dimensions de la problématique, celle de la santé et selon un seul de ses aspects : l’axe qui relie l’état de santé avec la satisfaction des besoins fondamentaux de l’être humain. C’est une contribution essentiellement théorique qui réunit de façon synthétique quelques modèles susceptibles d’alimenter la réflexion sur cette réalité particulièrement complexe.

J’espère que le texte qui suit vous invitera à stimuler les jeunes que vous côtoyez en donnant à vos interventions une direction qui les rapproche d’eux-mêmes, des conditions et du sens qu’ils veulent donner à leur vie à eux. Je souhaite que votre impact puisse les rendre conscients que leurs sensations, leurs émotions, chacun de leurs malaises sont autant de signaux qui les invitent à réfléchir pour trouver les moyens les plus directs, les plus accessibles, les moins coûteux, les moins dangereux, dans la situation spécifique qu’ils vivent, pour accéder simplement à du bien-être renouvelable en rencontrant par eux-mêmes leurs besoins prioritaires du moment, par des moyens justes et bons.

A vous de mettre les techniques de communication que vous connaissez et vos talents relationnels au service de cette tâche. A vous aussi d’inventer les techniques d’animation et d’utiliser les méthodes de réflexion et d’action collective pour faire émerger parmi les jeunes un point de vue à défendre dans le Grand Jeu de Société où chaque groupe citoyen constitué a le pouvoir de s’adresser aux institutions pour exercer une pression vers un changement.

Définition d’un concept

Que faut-il entendre par « besoin vital » ? Tout simplement un besoin dont la satisfaction nous permet de nous maintenir en vie et en prise avec notre vitalité, c’est-à-dire notre force, notre élan et notre énergie de vie.

Défini ainsi en relation avec la survie, un besoin est une exigence qui émane de notre nature humaine qui est à la fois biologique (santé physique), psychologique (santé émotionnelle et mentale), spirituelle (santé de notre rapport au sens de la vie) et ce, dans un contexte social et culturel donné puisque la dimension grégaire est inscrite dans notre « humanitude ».

Sous l’égide de cette définition, les besoins sont universels, donc se retrouvent chez tous les humains, quelles que soient leurs différences individuelles, quel que soit leur âge, leur sexe, leur origine sociale ou culturelle. Ce qui va varier et ce, d’un individu à l’autre, eu égard à son unicité comme à ses appartenances culturelles ou naturelles, c’est la manière dont chacun va identifier ses besoins prioritaires et les moyens concrets qu’il va mobiliser pour les rencontrer. La perspective dans laquelle une personne utilise les mêmes moyens. Les moyens eux-mêmes changent aussi avec le temps qui passe en réponse à un besoin vital d’évolution, de développement.

L’incontournable « qui je suis »

« Dis-moi comment tu satisfais tes besoins, je te dirai qui tu es » est une formule apte à illustrer combien le mode de satisfaction de nos besoins - c’est-à-dire en fait notre mode de vie - est influencé par nos appartenances, nos habitudes, notre niveau d’information et notre niveau de conscience par rapport à ces besoins (ces deux derniers points étant eux-mêmes influencés par notre éducation, elle-même sous le joug des appartenances socioculturelles et des habitudes de vie…)

Le « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux » est alors bienvenu car il invite au retour sur soi pour introduire davantage d’information et de conscience à notre propre endroit. C’est là qu’une introspection fructueuse se doit d’être alimentée par un bon questionnement. Par exemple : comment suis-je averti quand un besoin vital est en manque de satisfaction ? Y a-t-il des signaux indicateurs spécifiques que je puisse ressentir ou observer comme points de repère en ce qui me concerne ? Qu’est-ce que j’ai appris sur mes besoins, sur la manière de les rencontrer ? Quelles sont mes ressources pour mettre en œuvre une structure de résolution de problème efficiente pour me maintenir en vie, et prendre soin de la vitalité de ma santé ? Est-ce que mon attitude personnelle, mes habitudes, mes systèmes de croyances, mon éducation, mes loyautés d’appartenance… ne m’empêchent pas de satisfaire certains besoins vitaux ?  Est-ce que les contraintes de la situation extérieure (historique, sociale, culturelle, économique, politique…) dans laquelle je suis saisi peuvent menacer mes besoins, mettre ma vie ou ma santé en péril ? En quoi ?

Plusieurs niveaux de « comment » sous le masque d’un mot

Un jeune dit à son père qu’il a besoin de 15 euros parce que d’abord il a besoin de recharger la carte de son portable, vu qu’il a besoin de prendre des nouvelles de ses amis et qu’il aura besoin ensuite d’aller s’acheter un sandwich et un coke à la cafet’, et que non il ne va pas se préparer un pique-nique parce que ça fait ringard de déballer ses tartines. Et qu’heureusement il a pu se procurer ce GSM parce qu’il en a bien besoin pour organiser les sorties de fin d’année vu qu’il a drôlement besoin de se distraire… Nous pouvons constater dans son discours une juxtaposition de significations bien différentes sous l’usage du mot. Et nous faisons tous cela : nous avons besoin d’un café, d’une cigarette, de silence, d’un médecin, d’aller au restaurant, de faire du jogging, d’écouter la radio… Dans le vocabulaire courant, on ne fait pas référence au concept de « besoin vital » quand on emploie le mot « besoin », ce qui donne lieu à beaucoup de méprise chez ceux qui se donnent la peine de réfléchir sur cette notion pour s’y retrouver mieux dans l’établissement des priorités de leur vie.

Les exemples ci-dessus ne nous parlent en fait que de différents niveaux de moyens relatifs à la satisfaction de certains besoins. L’argent est devenu un moyen par excellence de servir nos besoins en l’utilisant pour consommer, justement. Mais nous employons d’autres procédés pour aller vers nos besoins vitaux, notamment produire, échanger, donner, partager, récolter… et pas seulement des biens et services, aussi des idées, des expériences, de l’amour, de la présence, du temps, de l’action…

L’ombre de la mort qui passe

Quoi que nous fassions, où que nous soyons, nous sommes sans cesse occupés à satisfaire des besoins. C’est pourquoi il est si important de savoir ce que nous faisons vraiment et de passer notre mode de vie et nos objectifs au crible de la connaissance de nos besoins vitaux. 

Car il y a problème lorsque certains d’entre eux ne trouvent pas satisfaction pendant trop longtemps. Et le délai critique est différent d’un type de besoins à l’autre (ainsi le besoin de respirer est plus urgent que, par exemple, le besoin de recevoir des signes de reconnaissance pour ce qu’on fait et qui on est)… voire d’une personne à l’autre (selon la capacité de rétention de nos vessies et les particularités de notre métabolisme, le temps nécessaire avant que se manifestent les signaux du besoin d’évacuation d’urine sera différent pour des personnes ayant bu la même quantité de liquide au même moment), mais il reste que si nous n’avons pas la possibilité de respirer, d’être reconnus, d’éliminer nos urines, c’est à terme plus ou moins long, la mort qui en résulte. Et si ces besoins ne sont satisfaits que partiellement ou «  in-adéquatement », c’est notre état de santé qui sera altéré avec la perspective de voir d’autres besoins compromis dans leur satisfaction, la maladie s’installer et en bout de course, de toute façon la mort possible, puisque c’est bien la vie qui est l’enjeu. Entre-temps, nous ressentirons toute une série de signaux internes qui avertissent des besoins en souffrance, d’abord précoces, puis de plus en plus tardifs jusqu’à devenir symptômes de plus en plus graves montrant que notre santé, voire notre vie, est en danger. Entre la santé et la maladie mortelle, il y a tout un continuum de signaux censés nous ramener à la vie. La vitalité vient à la rescousse du système réparateur inscrit dans notre ADN, dans nos cellules, dans nos tissus, dans nos organes, dans nos systèmes et la satisfaction des besoins vitaux soutient la vitalité et renforce la résistance de notre terrain.

Substitution, subterfuge et aliénation

D’où l’intérêt d’apprendre à repérer les besoins vitaux concernés par les moyens que nous mettons en œuvre pour vivre comme nous le faisons et de vérifier s’ils sont appropriés. Certains de ces moyens, en effet, peuvent s’avérer trop indirects et même aller jusqu’à nous empêcher de rencontrer l’un ou l’autre besoin ignoré… ou alors nous faire sur-satisfaire un besoin au détriment d’un autre peut-être plus urgent (travailler comme je le fais peut me plaire au point que j’en oublie de me reposer)… ou encore nous faire substituer un besoin par un autre, comme c’est souvent le cas chez les personnes boulimiques qui ingurgitent (puis parfois régurgitent) de la nourriture en compensation d’autres manques.  Nombre de substances ou d’objets sont consommés en substitution pour tenter de combler, sans y parvenir, des besoins de sentiment de sécurité, d’importance, d’appartenance, de stimulation, de sens dans la vie etc. Dans ce cas il y a substitution d’un besoin par un moyen… et donc double subterfuge !

Nos envies et nos désirs sont ainsi reliés à nos besoins en ce qu’ils portent notre attention sur des objets ou des projets comme moyens préférentiels de les rencontrer et tant mieux alors, si ces choses et ces actions sont accessibles et ne font de mal à personne. Mais les objets de nos désirs sont loin d’être des besoins en soi. Ils sont porteurs du risque de faire dévier par mirage notre énergie vitale, de nous « désaxer » et de nous entraîner à pervertir ou aliéner dans la foulée la satisfaction de nombre de besoins. Par contre, ils peuvent nous servir de signaux, si nous sommes assez sages pour comprendre qu’ils ne nous montrent pas forcément la nature du manque, nous invitant à creuser plus loin que l’objet pour découvrir la faille et nous orienter vers un plus juste choix.

Outils de discernement pour consommer « CRACS » de chez « CRACS »*

Et la place de la consommation dans tout cela ?  Elle nous propose des « biens » et des « services » à acheter, comme autant de moyens de satisfaire nos besoins ou de nous en détourner. Que la Société de Consommation et son Impératrice Publicité créent de nouveaux besoins est une ineptie si nous nous référons au concept des « besoins vitaux ». Cette idée même provoque une illusion supplémentaire, subterfuge ultime. Ce que produisent les organismes marchands, ce sont juste de nouveaux objets de désir sur lesquels jeter ou non notre dévolu comme moyens acceptables, jugés plus performants, plus judicieux, plus actuels, plus agréables… que ceux que nous utilisons déjà pour satisfaire certains besoins. A moins que ces biens et services ne nous soient vendus ouvertement (ou peut-être sournoisement) comme des substituts, c’est-à-dire qu’ils sont offerts pour être mis à la place d’un besoin, sans pourtant le satisfaire. Ainsi en arrivons-nous à remplacer ce qui pourrait vraiment permettre de combler un manque d’estime de soi par un produit de beauté, un manque de sentiment de sécurité ou d’importance, par une voiture d’un tel genre, un sentiment d’appartenance par un vêtement de telle marque, etc. C’est notre vie qui est dans un piège quand nous prenons l’ombre pour la proie. 

Ainsi donc, ces objets peuvent nous apporter autant de bien que de mal-être.

Apprendre à distinguer besoin, moyens de satisfaction, désir ou envie, signaux de manque et symptôme de problèmes relatifs aux besoins, et confronter ces distinctions aux faits, c’est nous mettre dans les mains des outils de discernement pour notre consommation.

Des limites à ne pas dépasser et un pari à gagner

Nos besoins vitaux sont contraignants parce qu’ils exigent d’être satisfaits si nous voulons éviter ou calmer l’inconfort de nos tensions, malaises et autres symptômes ; ils nous limitent en nous obligeant à trouver un équilibre de moyens à renouveler pour arriver à les rencontrer tous en alternance (ni trop ni trop peu). Mais ils sont encore plus douloureusement contraignants s’ils sont ignorés ou méconnus puisqu’il y a des points de non retour : des taux de pollution de l’air, de l’eau, des sols au-delà desquels la vie n’est plus possible ; des températures insoutenables ; des niveaux de pression auxquelles l’être humain de peut pas s’adapter, qui épuisent ses ressources, qui le détruisent.

Nos désirs recèlent une énergie vitale puissante puisqu’ils nous mobilisent vers l’action. S’ils peuvent nous enfermer, nous emprisonner, nous user quand on les oriente sur des objets de substitution, ils peuvent aussi nous libérer quand ils nous poussent à rencontrer davantage de besoins à moindre frais (sur les plans financier, énergétique, humain, écologique,…) en choisissant des moyens ad hoc de façon créative. Et au-delà notre désir a la force fragile de faire advenir davantage de beauté, de bonté et de vérité pour tous. Il y a de quoi miser sur les fondements du désir humain, mais il faut réussir à atteindre suffisamment profond le cœur de l’être, si souvent écorché, qui va défendre bec et ongles son ignorance de lui-même.

Au tournant de la fleur de l’âge

Revenons à l’âge du public qui nous préoccupe dans son rapport à la consommation de biens et services. Qu’entend-on par « jeunes » ?

Une tranche d’âge où les personnes concernées ne sont plus à considérer comme « enfants » et pas encore comme « adultes ». De nos jours, elle se situe entre plus ou moins 12 et plus ou moins 18 ans, encore que la période puisse être allongée ou raccourcie en référence à la possession de certains attributs ou pour bénéficier de certains avantages. 

L’adolescence est une période de transition très variable au cours des siècles et selon les cultures car elle ne concerne pas seulement la maturation physique et la capacité de reproduction biologique, mais tout autant la maturation émotionnelle, mentale, et spirituelle qui donne la capacité de création, de production et de reproduction au niveau social, culturel, économique, avec le pouvoir de répondre des actes posés auxquels on donne sens parce qu’ils sont mis en relation avec des valeurs choisies librement et en conscience dans le meilleur des cas. 

Les enfants, parce qu’ils ne peuvent pas s’occuper de leurs propres besoins (ou pas encore pleinement par manque de ressources, d’information, de compétence, de maturité…) sont pris en charge par ceux qui ont acquis cette capacité. Les enfants dépendent largement des adultes pour leur survie et la satisfaction de leurs besoins, d’abord totalement, puis de moins en moins au fur et à mesure qu’ils grandissent. La responsabilité d’un adulte par rapport à un enfant est premièrement de le maintenir en vie en faisant le nécessaire pour identifier et satisfaire ses besoins, ensuite il est censé enseigner à l’enfant comment identifier lui-même ses propres besoins, comment agir pour les satisfaire en employant les moyens appropriés et comment résoudre les problèmes qui se présentent à lui dans cette tâche. Enfin, les adultes ont à préparer les enfants à vivre dans le monde tel qu’il est et tel qu’il deviendra. En dépit de l’hypothèse que chacun fait certainement au mieux, les habitudes de vie des adultes en charge (voulues ou non mais pas toujours très saines), leur manque d’information, de présence, de ressources et de qualités pédagogiques font que les enfants sont nombreux à avoir mal appris à connaître leurs besoins vitaux, à ne pas identifier utilement leurs signaux de manque et à y répondre inadéquatement.

Finaliser l’apprentissage de ce qui permet de rencontrer ses besoins, de prendre en charge ceux des petits et de vivre dans le monde, cela fait partie des tâches de maturation des adolescents.

Enjeux initiatiques d’hier et d’aujourd’hui

Dans toutes les sociétés traditionnelles, cette phase de la vie centrée sur la puberté était marquée par des rituels de passage entourant une période de recyclage de l’enfance (recyclage des tâches de développement relatives aux différentes étapes de croissance et recyclage de la satisfaction des différents besoins qui se sont différenciés au cours de ces étapes). Il y avait aussi une initiation à la fois pragmatique et symbolique relative à ce qu’il faut assumer sur le plan social et culturel pour avoir sa place parmi les adultes de la communauté.  Recyclage et initiation faisaient l’objet d’un accompagnement par des personnes particulières en dehors de la famille. 

La complexification de nos sociétés modernes a fait qu’il est de moins en moins possible d’apprendre au cours de l’enfance ce qu’il est nécessaire de savoir et de savoir faire pour vivre dans le monde tel qu’il est. Cette période d’apprentissage doit donc se prolonger au-delà de la maturation physique. Le recyclage et l’initiation s’étalent forcément dans le temps, donnant peut-être une impression de délayage, de répétition ou des allures de prolongations. Les personnes qui accompagnent le processus sont de moins en moins reconnues comme telles et leur impact a tendance à se diluer. L’enjeu est pourtant toujours de la même taille : il s’agit de l’émancipation des individus pour qu’ils deviennent autonomes, c’est-à-dire qu’ils vivent selon leurs propres choix, en se donnant leurs propres normes pour s’occuper de leur vie personnelle en vivant avec les autres… en assumant eux-mêmes la responsabilité de la satisfaction de leurs besoins et en recherchant collectivement un mode de vie et un genre de société qui favorise le bien-être et la santé pour tous. 

« Recyclo-moteurs » en fonction

Dans le secteur Jeunesse aujourd’hui, en tant qu’acteurs adultes, vous êtes ces accompagnants recycleurs-initiateurs modernes mais contrairement à ceux des sociétés traditionnelles, vous ne savez pas vous-mêmes décrire ni expliquer le monde tel qu’il est dans sa complexité et vous savez que le contexte dans lequel vont vivre ces jeunes sera différent de celui dans lequel vous avez évolué jusqu’ici. Votre tâche est d’autant plus ingrate. Mais notez bien l’importance de ce recyclage initiatique que vous êtes chargés de stimuler, de catalyser. Car recycler ce n’est pas tant récapituler un cycle précédent que de régénérer ce qui est devenu obsolète, désuet, inutile, c’est faire du neuf avec du vieux, du « bien foutu » à partir du « mal en point », c’est donc aussi se réparer du passé et résoudre les conflits intérieurs qui en ont découlé. C’est une tâche initiatique parce qu’il s’agit d’un processus qui révèle un individu à lui-même et lui permet, à partir de là, d’appartenir, renouvelé, à un groupe nouveau, de changer d’état, de prendre autrement sa place dans le monde.

Vaillance sous l’orage

A travers toutes les mutations, les besoins vitaux restent une référence de base et peuvent ainsi servir pour évaluer à quel prix ces besoins sont satisfaits selon qu’on met en œuvre tel moyen plutôt que tel autre, à l’échelle de l’individu comme à l’échelle de la communauté. 

Les besoins vitaux des « jeunes » sont les mêmes que les nôtres, mais étant dans une autre tranche d’âge, ils ont à accomplir d’autres tâches de développement que celles qui nous reviennent. De plus ils vivent leur jeunesse à une autre époque que nous et sont confrontés à d’autres perspectives de mutations de société que celles qui se dessinaient quand nous étions en passe de devenir adultes. Ils ont, en outre, à portée de consommation une autre offre que la nôtre.  En conséquence de tout cela, il est bien normal qu’ils cherchent à satisfaire leurs besoins à leur façon en se dépatouillant vaille que vaille. 

Mais leur changement d’attitude vis-à-vis d’eux-mêmes marquera inévitablement les choix qu’ils poseront s’ils deviennent conscients de leurs besoins vitaux. Au clair sur ce qui s’y rapporte et bien au fait des enjeux qu’ils ont en main en se dégageant des carcans et des illusions pour se construire une vie bonne. 

Ils auront dès lors davantage de prise sur leur vie personnelle et pourront mieux se situer collectivement. C’est bien cela que nous voulons viser en les amenant à relier leur réflexion sur la vie et le monde à leurs besoins fondamentaux et à leurs ressources inventives. Mais cela ne va pas sans mal car pour amener un retournement en profondeur, il en va pour les individus comme pour les sociétés ; la crise est souvent salutaire et c’est sans doute la raison de son apparition. En provoquant le chaos, elle oblige l’être humain à rassembler davantage d’informations sur la situation et à s’aligner sur l’essence même de l’énergie vitale qu’il va toucher en lui, ce qui lui procure le ressort de passer outre et d’aller s’établir sur une plus grande stabilité. Accueillir les crises, aller à leur rencontre encore et encore aux côtés de ces jeunes, c’est prendre ce risque-là, et c’est votre boulot.

Dernier verre pour la route, pour peu que vous vouliez le remplir.

Point de repère pour l’énonciation des besoins vitaux, la liste établie par Marge Reddington - accompagnée d’exemples de signaux de manque qui indiquent de façon précoce, tardive ou symptomatique qu’il s’agit de s’occuper de ses besoins - est disponible - en français sous forme de tableau distribuée en Belgique par l’Association Belge de Symbolisation.  (Coût : 7 euros).  Adresser votre demande par tél. au 087/46.21.80. ou au RéAJC ASBL. Cette liste a été construite en accord avec les références conceptuelles présentées dans cet article.

Consommer en « CRACS » c’est bien sûr en Citoyen Responsable, Actif, Critique et Solidaire… l’occasion d’aller avec l’air du temps est vraiment trop belle pour se priver de jouer avec un sigle et un slogan si délicieusement concoctés !

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Marge REDDINGTON, Health, Happiness and Human needs, Dayton, OH (USA), TDC Group, Publishing Division, 1994, 254 pages , à l'Association Belge de Symbolisation – tél.: 087/46 21 80